jeudi 24 novembre 2016

Souffrance

A la vue de tous, ils approchent.
Sans honte, ils avancent.
Au centre des regards, ils se postent.
Milliers de sentiments, ils provoquent.
Ces hommes, dont pas un seul ne rit.

Sur son chemin, cette demoiselle,
A la belle peau d'ébène
Subitement s’arrête.
Touchée par ces surprenantes sculptures,
Elle se pose des questions:
«Mais qui sont-ils?
Mais d’où viennent-ils?
Serait-ce de la Porte du non-retour?
Serait-ce du chemin sans détour
De ces navires chaotiques
Qui glissaient sur l’Océan Atlantique?
Ou viennent-ils plutôt des côtes d’Amérique?
Mais où étiez-vous?
Beautés célestes défigurées,
Pauvres humains meurtris
Que la fatigue a maigri,
A qui on a ôté toute trace d’humanité!
Où étiez-vous?
Enlevés à vos ancêtres,
Retenus par des chaînes
Au service du dur labeur
Dans une vie d'horreur. »
Aujourd'hui libérés,
Ils viennent sans pudeur,
La poitrine bombée,
Le regard brillant
Car ils sont fiers
Après ces années amères
D'être des survivants.
Ô mon cœur est brisé! 

A la vue de tous ils approchent.
Sans honte, ils avancent.
Au centre des regards, ils se postent.
Milliers de sentiments, ils provoquent.
Ces hommes dont pas un seul ne rit.

Sur le pavé, d'une démarche coquette
Balançant ses belles
Courbes et formes abstraites,
Ce jeune homme
Qui se sentirait bien femme,
Tout d'un coup s'arrête
Dans son élan parfait.
« Mais qui sont-ils?
D’où viennent-ils?
Serait-ce d'Auschwitz?
Serait-ce de Leschwitz?
Ont-ils été de ces longs voyages vers le grand inconnu
Dans ces trains brinquebalants au terminus
Où règne la misère la plus noire?
Par quelle douceur sordide
Avez-vous été torturés? Mais où étiez-vous donc?
Où le travail divin est devenu si laid
Où jamais on ne s'arrête
Et jamais on ne joue.
D'où n'est possible aucun retour.
Hélas, vous étiez détenus!
A cause de vos faiblesses,
Vos droits n'existaient plus.
Chut! Le maître n'approuvait
Ni vos désirs honnêtes,
Ni votre maladresse.
Après la déportation,
Après les enlèvements,
Dans cette terreur palpitante?
Où étiez-vous? » 

Aujourd'hui libérés,
Ils viennent sans pudeur,
La poitrine bombée,
Le regard brillant
Car ils sont fiers
Après ces années amères
D'être des survivants.
Ô mes pauvres frères!
Ces hommes ici présents rappellent à l'univers leur sombre passé. Alors photographiez, dessinez, sculptez, écrivez qu'importe comment! Trouvez un moyen pour que les générations, pour toujours se rappellent de cette sombre ère passée. Pour qu'à jamais on se souvienne de ces hommes à qui on a tout arraché, tout, sauf la dignité et le courage!

Texte: Stéphania et Stéphanida DAKOSSI

 
Sabina Grzimek 1980-1985